Mécanisation d’une proposition de jeu (mécaniser plus 2/2)
Cet article est la deuxième partie de l’article précédent (https://locus-sol.blogspot.com/2022/04/mecaniser-plus-partie-12.html) qui posait des principes généraux de création ou d’adaptation de mécaniques à une proposition de jeu.
Ici je vais détailler un exemple tiré de la dernière campagne que j'ai menée.
Les problèmes
J’ai mené une campagne de Symbaroum [1] (ou du moins dans son univers) avec trois joueurs. Symbaroum, pour faire court, est un jeu de rôle proposant un univers médiéval fantastique centré autour de l’exploration d’une forêt (Davokar) et des mystères et dangers qu’elle renferme. Le monde de jeu est assez riche, avec une société complexe et des factions diverses, et évite ou joue habilement avec certains clichés communs à ce genre d’univers.
Cependant, le système proposé m’a beaucoup moins enthousiasmé, pour deux raisons principales:
Il est très “générique”: ce système pourrait être appliqué à n’importe quel univers médiéval fantastique et ne traduit pas de ton ou d’ambiance particulière.
Il ne soutient pas la proposition de jeu telle que je la comprends: faire des expéditions dans une forêt dangereuse (pas de mécaniques de voyages, de rencontres, de survie, de gestion des ressources).
J’avais une proposition claire en tête pour une mini campagne d’une trentaine d’heures. Après une première partie d’introduction sous la forme d’une enquête simple, la suite se concentrait sur l’expédition des aventuriers dans la forêt (l’aller seulement, le retour étant ellipsé). Pour cette deuxième partie en particulier, j’avais besoin d’un gameplay qui rendrait le voyage unique, difficile, et surtout pas répétitif.
Système de base
Je voulais une ambiance plus rugueuse et difficile que le système de Symbaroum. J’ai opté pour Brigandyne [2] un système léger avec des actions qui échouent souvent.
Les deux aspects mécaniques de l’exploration
L'exploration dans un jeu de rôles est pour moi constituée des principaux ingrédients suivants:
- Le mystère et l’émerveillement, que je fais reposer sur les descriptions, les visuels et la musique.
- L’orientation ou la progression, que j’avais envie de mécaniser ici, de rendre ludique et intéressante pour les joueurs.
- La gestion des ressources, que j’avais également envie de mécaniser.
Je vais présenter ici les mécaniques mises en place pour les deux derniers points.
Mécanique de voyage
Dans un premier temps, je m'étais orienté vers un système de tables aléatoires. Avec un jet de dé chaque jour de voyage qui indiquait trois situations possibles:
- rien ne se passe
- un danger mineur arrive (tiré sur une table aléatoire)
- un péril arrive (prévu par mon scénario)
J'ai discuté de cette première idée avec d'autres meneurs. Il en est ressorti qu’elle présente plusieurs problèmes:
- Il faut bien calibrer les probabilités pour maximiser les chances de placer les périls prévus.
- Il y a un côté répétitif du tirage quotidien, qui ne donne pas une impression de progression aux joueurs.
- Pourquoi tirer aléatoirement un danger au lieu de choisir le plus dramatiquement adéquat sur le moment?
J'ai finalement opté pour une idée que m'a donnée Hugo de la chaîne Youtube Le bon MJ [3].
L'idée consiste à créer une carte de progression abstraite avec des points reliés par des arcs indiquant les différentes possibilités de parcours. Les points sont illustrés par des pastilles. Il s'agit en fait d'une sorte de “point crawl” [4] illustré.
La structure de la carte est révélée aux joueurs dès le départ, mais les pastilles illustratives sont dévoilées au cours de la progression. Ces pastilles sont le plus évocatrices possible pour créer un référentiel visuel, un peu à la manière des “index cards” de ICRPG [5].
Ainsi, la curiosité des joueurs est maintenue et lorsqu'ils sont à un carrefour dans la progression, les différentes possibilités sont évoquées visuellement.
Mécanique de ressources
Pour ne pas alourdir le déroulement de la partie, les ressources en eau et nourriture sont gérées narrativement.
Pour les autres ressources (carreaux, flèches, cordes, grappin, bandages), nous avons utilisé les dés d'usure empruntés au Black Hack [6]. La ressource démarre avec par exemple un dé 10. Après utilisation, le dé 10 est lancé. Si le résultat est 3 ou moins, la ressource perd un dé et ainsi passe à un dé 8. Lorsque 3 ou moins est obtenu sur le dé 4, la ressource est épuisée.
L’intérêt de cette règle est de créer une tension sur l’utilisation de l’équipement, rendant certains choix des joueurs plus intéressants. Son principal inconvénient réside dans le fait d'être obligé de bien calibrer le dé de départ pour créer de la tension.
Mécanisation des scènes
Les problématiques de progression de campagne étant à présent résolues, je souhaitais ensuite me pencher sur le déroulement des scènes elles-mêmes, notamment celles impliquant des défis de toute nature (énigme, interactions sociales, combat) pour les joueurs.
Cibles de difficulté
J'ai directement récupéré le principe des jetons de cible de difficulté de ICRPG [5] de même que certaines idées de design de combat ou de salle.
Le principe du jeton est de placer sur la table la cible de difficulté de la scène (cela peut être un seuil ou un bonus / malus selon le système utilisé). Pour ajouter un aspect visuel simple, j'ai colorié mes cinq jetons (du rouge pour difficile, du vert pour facile).
Cela permet une calibration et un chiffrage rapides du défi proposé aux joueurs, avec un aspect de transparence intéressant. Les joueurs utilisent autant le système que le meneur, ils visualisent leurs options.
Bien sûr, il est possible de nuancer en variant la difficulté autour de la cible dans une même scène.
Ennemis
L'opposition, et donc n'importe quel ennemi, est définie par la cible de difficulté et un nombre de points de vie soit de 10, 20 ou 30 (un PJ est en général un peu en dessous de 20).
Pas besoin de blocs de statistiques complets, on peut se concentrer sur l'essentiel: les mécaniques amusantes. Le monstre peut-il agir plusieurs fois par tour? A-t-il une attaque spéciale qui touche plusieurs adversaires en même temps, une qui consiste seulement à les éloigner ou les séparer?
Règles ad-hoc
Enfin, j'ai ajouté comme je le fais quasiment toujours, quelques règles spécifiques.
L'une était une adaptation de la jauge de corruption qui existe dans Symbaroum, pour qu'elle puisse fonctionner au sein de Brigandyne.
L'autre était une improvisation pour simuler la plongée d'un PJ dans un monde spirituel où il recherchait une personne connectée à lui-même. Pour la recherche, je lui ai proposé de faire les jets de dés associés aux caractéristiques de son choix. Selon la caractéristique choisie, l'interprétation et la progression étaient différentes.
Retour d’expérience
Durant la partie, les systèmes de carte abstraite et de cible de difficulté ont beaucoup fluidifié le jeu, cadrant bien les discussions et stratégies des joueurs. Je pense que ces mécaniques ont permis de maintenir un bon rythme et de faire la mini campagne dans une durée raisonnable.
La lisibilité du gameplay a semblé plaire aux joueurs.
Les mécaniques d’usure ont créé assez peu de tension (les dés de départ étant peut être trop élevés) mais ont pesé dans certains choix (par exemple, passer en hauteur plutôt que sous terre quand les torches venaient à manquer mais pas les cordes).
Références
- Symbaroum (https://www.legrog.org/jeux/symbaroum)
- James Tornade, Brigandyne (https://www.legrog.org/jeux/brigandyne)
- Le bon MJ (https://www.youtube.com/c/LebonMJ)
- Point crawl (http://hillcantons.blogspot.com/2012/01/crawling-without-hexes-pointcrawl.html)
- ICRPG (https://www.legrog.org/jeux/index-card-rpg)
- Black Hack (https://www.legrog.org/jeux/black-hack)
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