De la profondeur avec très peu de préparation
Cet article, comme le précédent, fait partie de mon cycle de réflexion sur la préparation minimale. Il se base sur mon expérience récente de meneur sur une campagne de Kult - Divinité perdue.
Aperçu de Kult - Divinité Perdue
Kult est un jeu de rôle dans lequel les joueuses et joueurs interprètent des personnages brisés, hantés par leur passé, piégés avec toute l’humanité dans une illusion que nos geôliers ont établie pour se garder de la puissance humaine. C’est un résumé très grossier qui ne rend pas justice à la grande richesse de son univers.
Le système de ce jeu est dérivé des systèmes PbtA. Plutôt que d’utiliser des compétences pour résoudre des obstacles comme dans d’autres systèmes, on utilise des “actions” (“moves” en anglais) spécifiques (encaisser des dégâts, lire une personne…) qui ont des issues du type “oui et”, “oui mais”, “non”... L’issue “oui mais” est statistiquement majoritaire. La plupart du temps, le PJ atteindra son objectif aux prix de nouveaux obstacles et complications.
Le système de Kult a sans doute des défauts, mais présente selon moi deux aspects intéressants au moins:
- Les PJ ont des désavantages (liés à leur personnalité, leur passé par exemple) qui peuvent être déclenchés comme des actions.
- Les complications peuvent être retardées et appliquées plus tard (on accumule des “périls”).
Préparation de la campagne
Pour cette campagne, j’ai préparé une intrigue relativement simple, un complot caché aux yeux des PJ, le plan terrible de l’antagoniste principal (nommé Wenger). Outre la préparation de cette intrigue, j’ai préparé deux scènes d’amorce, avec leurs PNJ et lieux (trois lieux et quatre PNJ). Et c’est tout !
Nous avons joué toute la campagne, jusqu’à l’intense dénouement final, sur la base de cette préparation et de tout ce qui est arrivé en session.
Cette économie de préparation fut permise par trois éléments:
- L’aspect “centré sur les personnages”. Les joueuses et joueurs définissent en grande partie les arcs de leurs PJ, notamment par la construction de leur passé (le “sombre secret”) et la définition de leurs désavantages.
- Le système est un moteur narratif. Chaque action apporte son lot de conséquences semi-scriptées qui permettent au drame d’avancer presque sans contrôle. Parfois, il faut même ralentir ce flux pour que les participantes et participants reprennent l’autorité narrative. Cela est permis par les périls notamment.
- La possibilité de décaler certaines conséquences à travers les périls permet de se donner plus de temps pour improviser dans la même session, ou une petite préparation pour les suivantes.
Un déroulement inattendu
De nombreuses pistes ont été ouvertes pour aborder la conspiration de manière indirecte. Il était même possible de faire tomber l’antagoniste principal sans jamais le rencontrer.
Les PJ n’ont pas utilisé ces pistes et ont amené leurs personnages sur des confrontations beaucoup plus brutales.
J’ai pu construire sur leur approche. Non pas en tentant de les ramener sur un chemin plus détourné, ce qui aurait constitué une forme d'illusionnisme. Mais bien en mettant en perspective les enjeux personnels et collectifs dans des scènes beaucoup plus intenses et cornéliennes.
Construire sur les personnages
Les trois PJ représentaient bien le panel de possibilités offertes par Kult. L’une avait des obsessions très étranges et dangereuses, un autre un passé très lourd à porter et le dernier des appétits difficiles à contrôler.
Le système de “sombres secrets” et la construction des personnages à partir d'archétypes nombreux, mais tous dans le thème, permet de définir le point de départ d’un arc personnel riche pour chaque PJ.
L’intrigue est là pour donner un objectif et un cadre commun au groupe, mais en réalité il est possible de s’en passer en proposant tout simplement des situations qui résonnent avec les histoires et les traits de chaque PJ.
Le choix (ou la paresse) d’avoir créé une intrigue simple fût selon moi bénéfique. Cela a laissé plus de place au développement de chaque personnage et de ses conflits internes.
Kult est un jeu d’horreur psychologique et personnelle. Chaque PJ doit y faire son chemin, s’enfoncer dans l’abîme ou chercher une rédemption impossible à trouver. Cela peut conduire à de nombreux moments où les PJ sont chacun à leur tour “seuls à l’écran”. Ce qui peut être traditionnellement vu comme un problème n’en est ici pas un. Ces moments de “solo”, de par la profondeur que le jeu pousse à insuffler à chaque PJ, sont souvent intéressants à suivre.
Il fût très amusant pour moi en tant que meneur de tour à tour isoler les PJ, les confronter les uns aux autres, puis à leur environnement, qu’ils agissent de concert ou selon leurs motivations individuelles.
Débrancher la machine
La mécanique de création de complications propres aux jeux PbtA peut à mon sens fortement accélérer le drame et prendre le pas sur certains choix fictionnels que voudraient faire les participantes et participants (PJ ou MJ).
Nous n’avons pas hésité de temps à autre à “débrancher les mécaniques” pour continuer la narration sans jet de dés.
Si parfois la mécanique se fait trop prégnante, dans certains cas elle vient à manquer. Pour moi, le jeu gagnerait à intégrer certaines mécaniques pour gérer la manière dont les PJ subissent les épreuves qu’ils traversent. C’est dommage il me semble pour un jeu qui malmène les PJ, de ne pas guider les joueurs dans les souffrances de ceux-ci.
S’il peut être déplaisant de laisser la meneuse ou le meneur prendre la main sur ce que subit son PJ, il est tout autant difficile, en tant que joueur ou joueuse, d’être démuni sur la manière dont le personnage peut traverser et intégrer des traumatismes.
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