Bois dormant - retour de campagne

Cet article est un retour d’expérience sur une campagne de Bois Dormant, un jeu de Melville [http://melville-games.com/jeux-de-roles/bois-dormant/]. Pourquoi faire un retour sur ce jeu en particulier ? Parce que c’est un jeu qui nous (ma table) éloigne d’une pratique “traditionnelle” du jdr, tant par ses thèmes (la communauté, la non violence) que par son système (système symétrique avec répartition égalitaire du pouvoir narratif, et sans aléatoire).
Ce retour ne se veut pas exhaustif, ce n’est pas non plus une présentation détaillée du jeu. Je vais seulement passer en revue les points importants pour nous.

Contexte

Bois Dormant est un jeu de rôle sans meneur et sans dé dans une communauté post apocalyptique. Un virus qui endort les gens, apparemment pour toujours, a frappé un jour votre ville, qui est maintenant isolée du reste du monde par un blocus gouvernemental.

Nous étions trois participants et avons joué cinq sessions de plus de deux heures, dont la première uniquement consacrée à la mise en place du cadre.
Le tout en distanciel, en utilisant Miro (un tableau banc collaboratif), Discord, et Watch2Gether pour les musiques.

Définition du cadre

Le jeu propose d’abord de passer par une phase de “world building” collaboratif. Chacun va apporter sa pierre pour définir les lieux importants, notre communauté et celles qui gravitent autour (hostiles, alliées ou peu connues), les personnages joueurs et non joueurs importants.
Le livre du jeu nous prend vraiment par la main, et avec différents outils: texte à trous, questions, listes. Cela a très bien fonctionné dans notre cas. Au bout de deux heures, nous avions construit quelque chose de cohérent, avec des éléments apportés par chacun, et la sensation que tout cela pouvait être mis en mouvement pour créer une histoire.

De MJ à PJ

Pour démarrer l’action, un joueur met en scène son PJ. Les autres vont dresser des obstacles devant lui, en fonction (mais pas exclusivement) du domaine dont ils sont chacun responsables (le “domaine” est la partie de l'univers qui leur est attribué).
D’autres PJ peuvent intervenir pour résoudre ces obstacles (mais pas celui du joueur qui a posé l’obstacle).
Le fait de centrer chaque scène sur un des PJ crée une sorte d’individualisation des problèmes. Nous n’avons pas retrouvé le “gameplay” de jdr auquel nous étions plus habitués, où notre groupe de joueurs résolvait ensemble les obstacles. Ce n’est pas en soi un problème, mais j’ai trouvé que cela ne cadrait pas toujours bien avec un des thèmes centraux du jeu, à savoir l'entraide.

Tous MJ: le développement d’un imaginaire commun

Dans Bois Dormant, toutes les personnes présentes créent l’univers et y jouent. Ce double rôle demande une certaine gymnastique et a un certain nombre d’effets qui nous éloignent grandement du jeu asymétrique “traditionnel” avec meneuse ou meneur attitré. Notamment:

  • Le foisonnement. Lorsque vous mettez en place un contrôle partagé sur la création de l'univers, les idées fusent (y compris en jeu, après la phase de worldbuilding), et on se retrouve rapidement avec plus que ce que peut gérer une seule personne. Cela tombe bien, c’est le but et chacun a ses “domaines” (morceaux de l'univers) attribués (bien que tournant également selon la situation).
  • L'immersion et la cohérence. Tout le monde doit être gardien d'une certaine forme de cohérence, il y a un exercice de synchronisation et d’harmonisation des idées qui peut briser l’immersion par moment. Pour être plus précis, disons que l’immersion se fait moins à travers une position d’acteur que d’auteur.
  • Apprendre à laisser le contrôle. En tant que meneur régulier, j’ai apprécié le fort sentiment de jouer avec les autres plus que de leur raconter une histoire. Cela permet de réaliser ce qu’on peut faire en donnant plus d’espace à chacun.

Gérer l’énergie

Une constatation fortement partagée à la table est que cette forme de jeu nécessite beaucoup d’énergie de la part de tous. A mon avis pour au moins les deux raisons suivantes:

  • Lors d'une partie “traditionnelle”, MJ et joueurs arrivent préparés. Ici, il y a un stress supplémentaire de devoir beaucoup improviser sur le moment.
  • La charge cognitive du “tous MJ”. Chaque personne doit s'investir dans son personnage mais aussi dans l’univers, pour proposer des obstacles intéressants. Intéressant signifie ici:
    • créant un challenge pour le PJ
    • créant de l’enjeu: le résultat de la résolution (ou pas) de l’obstacle fait évoluer la situation dramatique, les personnages, permet d’en apprendre plus etc.
Improviser cela plusieurs fois par partie, et de la part de chacun, a été perçu comme un challenge pour moi.

Autres points en vrac

  • Le jeu propose également une répartition des “fonctions” des personnes: prise de note, hébergement, nourriture, logistique… C'est une bonne pratique facilement exportable dans toutes les formes de jdr.
  • Le livre du jeu précise bien que même s’il peut y avoir de la violence dans une partie de Bois Dormant, les PJ sont membres d’une communauté pacifique. J’ai trouvé cette contrainte de non-violence très intéressante, parce que c’est un bon thème mais aussi un ressort ludique efficace.

Impressions finales

Je lis parfois que les pratiques “alternatives” de jdr sont surtout intéressantes pour ce qu’elles apportent à la pratique “traditionnelle”. Je trouve cela réducteur et même un peu méprisant. Toutefois, l’intérêt de pratiquer d'autres formes de jdr pour enrichir son univers ludique est indéniable.

Je souhaite avant toute chose préciser que nous avons tous passé un bon moment, même si ce n’est pas forcément le type de jeu qui colle le plus à notre table.
Au-delà de ces impressions, que vais-je retirer de cette expérience pour ma vie de rôliste?

  • d'excellents outils de world building collaboratifs, réutilisables tels quels ou pouvant en inspirer d’autres
  • la répartition des fonctions, qui est quelque chose de plus répandu et connu, mais très bien formalisé dans le livre
  • le fait de jouer avec la contrainte de la non violence, avec une orientation vers la construction de quelque chose

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